Rencontre sur la neige

2003, 23 représentations

ET SI LA NEIGE NE CESSAIT PLUS? 
Belle rencontre au Théâtre 2.21 entre un auteur, deux comédiens et quatre musiciens
La pièce est une commande du comédien Claude Thébert, fondateur du Théâtre du Sentier, à l’auteur Jacques Probst. Elle a été écrite en automne 2002 et créée au printemps 2003: depuis elle fait l’objet d’une tournée qui voit défiler les représentations par dizaines. La pièce se joue cette semaine au Théâtre 2.21, à Lausanne. Il ne reste plus quatre représentations. Une heure au fil des minutes envoûtante, grâce à ce même Claude Thébert (57 ans), en duo avec l’irradiante Marie Probst (30 ans, fille de l’auteur et Liliane Tondelier, créatrice de lumières, mais pas sur ce spectacle). Grâce aussi à quatre musiciens en totale osmose avec les mots: Emilien Tolck (piano), Nicolas Meyer (batterie), Diego Marion (saxophone) et Popol Lavanchy (contrebasse), lequel signe les compositions. Un bel échange sous le titre Rencontre sur la neige. Et ce sont bien des flocons d’émotions qui ne cessent de tomber.
On connaît des écrivains voyageurs, comme Nicolas Bouvier. On connaît également des auteurs de théâtre voyageurs. Et tel est Jacques Probst, par ailleurs comédien et metteur en scène, bourlingueur des scènes romandes. Ce spectacle «léger et nomade» met en relief une écriture poétique et charnelle, âpre et tendre, avec des mots qui sont corail ou récif en fonction des éléments du récit. L’histoire? Simple, étrange. Un vieil homme débarque dans le territoire d’une jeune femme, Naalia, ancienne serveuse et seule survivante d’un temps guerrier. Du village, il ne reste rien et plus personne. Tout est enfoui, sous terre et dans sa mémoire. Elle a tout perdu, y compris ses deux enfants, la petite massacrée et l’aîné en fuite, vivant peut-être, mais disparu. Elle vit près d’un rivage, où s’échouent parfois les restes des bateaux naufragés. Dans un pays lointain, sans doute où la neige a étalé son immense linceul. Et si le soleil ne revenait plus? L’ombre de Ramuz plane en douce. Celle de Cendrars aussi, entre épopée et intimité.
Les deux personnages ont un rapport décalé au temps – le plus agé l’est-il vraiment? A la nature aussi, sauvage et salvatrice. Deux solitaires en dérive dont les premiers échanges sont houleux. Tant d’espoir laminé. Tant de vide à combler. Y arriveront-ils? Gardons le voile sur le final de cette traversée en deux coeurs chavirés.
Michel Caspary, 24 Heures, 3 février 2005

Photo © Dorothée Thébert

DISTRIBUTION
Texte et mise en scène Jacques Probst – Création musicale Popol Lavanchy – Scénographie Gilles Lambert – Costume Véréna Dubach et Mireille Dessingy – Peinture du décor Jean-Pierre Arlaud – Jeu Marie Probst, Claude Thébert – Musique Popol Lavanchy, contrebasse | Diego Marion, saxonphones | Nicolas Meyer, percussions | Emilien Tolck, piano – Administration et production Claude Thébert – Photo © Dorothée Thébert

THÉÂTRE / DES ACENTS DU «VASTE MONDE» 
Rencontre sur la neige, de Jacques Probst, auteur dramatique et comédien, était le dernier spectacle de l’année, samedi à l’espace culturel Rennweg 26. Inspirée par la musique de jazz composée par le contrebassiste Popol Lavanchy, cette pièce se construit sur un scénario de dévastation, sans espoir, de vie rude. Entraînée par une très belle langue rythmée et aux images fortes, la pièce suscite des émotions intenses, qui reflètent celles éprouvées par une femme et un inconnu se rencontrant dans les conditions extrêmes du Grand Nord et de la guerre. Les récits obsédants de la femme, dont le fils s’est enfui face au conflit, sont sans fin. La guerre l’a contrainte, pour survivre, d’adopter un rôle de dure. Le voyageur, soumis, fatigué, veut lui donner une bribe d’espoir. Peu à peu, ils se livrent et recomposent des vies éclatées. Sur scène, on voit un long tronçon d’une planche épaisse, autrefois comptoir de la salle à boire d’une auberge, miraculeusement tenu horizontalement au-dessus du sol. Groupé dans le fond, l’orchestre commence à jouer, quelques pas devant le comptoir, figée dans un vêtement beige, Naalia, une femme sans âge, parfaitement interprétée par Marie Probst, tient dans une main les restes d’un vieux fusil. L’actrice, un visage d’ange, un regard profond, parfois dur, sait marquer des signaux qui emmènent le public à rire et, plus souvent, à réfléchir. A travers des naufrages, elle sauve les possibles musiciens des bateaux en perdition, mais elle tue aussi sans état d’âme les autres marins survivants. Tout à coup, sur scène, un soldat ou une entité: c’est L’HOMME, magnifiquement joué par Claude Thébert, qui timidement quémande à boire et à manger. L’acteur livre toute sa force dans une interprétation plus vraie que nature du voyageur en narrant ses rencontres et péripéties à travers le monde.
Des «fiche le camp! », «j’ai faim!» se succèdent… Au moment où L’HOMME renonce à rester, la magie de la musique s’impose et annonce l’espoir contenu dans le dénouement. Dans ce village assassiné par le passage des chars, le voyageur inconnu s’avère être le fils qui avait pris la fuite jadis. Les flots de paroles que déversent sur scène Marie Probst et Claude Thébert amènent l’histoire par petites touches de grandes sensibilités.
Rencontre sur la neige est un voyage émouvant dans le souvenir.
Viviana Von Allmen, Journal du Jura, 13 décembre 2004

JACQUES PROBST, BEAU COMME DE CENDRARS 
Une reine à qui il ne reste plus que les deux syllabes poétiques de son prénom. Naalia a tout perdu: sa cour, son toit et ses deux enfants. L’aîné , qui allait sur ses 10 ans, a fui dans les montagnes avec le troupeau de brebis; la cadette a rejoint la fosse commune creusée par sa mère après le départ des soldats. Dans ce village assassiné, seul le comptoir de l’auberge a été épargné par le passage des chars. Les chiens, qui n’avaient plus personne à garder, sont devenus des loups.
Pas étonnant alors que la femme sans âge, orpheline de sa propre vie, brandisse son fusil au moment où surgit un homme venu de nulle part. «Vous avez les yeux d’un qui a vu trop de lointains et je n’aime pas ça», lui lance-t-elle en le mettant en joue avec son arme de pacotille. L’intrus propose en retour de l’aider à reconstruire sa maison, de bêcher son jardin et d’aménager sous les auvents un poulailler. Nouveau refus: «Je ne veux rien avoir à moi qu’on puisse me prendre. »
Voilà pour les prémices d’un dialogue difficile. Il faut s’appeler Jacques Probst pour lui inventer des solutions dramatiques qui redonnent aux protagonnistes le goût de la parole et une chute qui les persuadent de rester ensemble. Car léchange aura bel et bien lieu, en musique, composée par le contrebassiste Popol Lavanchy. Lequel ne manque pas, avec ses comparses, de désobéir aux airs «affreusement tristes» qui trottent par moment dans la tête de l’auteur.
Mais l’écriture de Probst, comme celle de Cendrars, appelle les notes et la voix des comédiens. Sa fille Marie partage la scène avec Claude Thébert. Le Théâtre du Sentier ne pouvait choisir distribution plus fraternelle pour habiter la scénographie conçue par Gilles Lambert. Une petite forme aimante et profondément partageable.
Thierry Mertenat, La Tribune de Genève, 16 mai 2003

Une production du théâtre du sentier en coproduction avec la Compagnie Eustache

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