Quand je mange de le crème fouettée…

2006, 32 représentations

C’est un clochard céleste.
Le bas de ses pantalons est effrangé mais il a de la dignité dans le regard. Chaque matin il se bat contre sa tristesse profonde et il ne sort que pour cultiver la joie, la convivialité, le rire, la pugnacité. Il est incapable d’avoir un jugement définitif, il offre ses contradictions et les assume. Il est désespérement joyeux, il a un monde aussi vaste sinon plus que le monde qu’il est capable d’encercler de son regard et de sa curiosité. C’est un clown qui cache ses secrets, qui rend ses lettres de noblesse aux erreurs, aux bêtises.
Il a une très haute idée de lui-même tout en cultivant une modestie de serviteur. Il pleure et rit, parfois très fort, il met beaucoup d’ énergie à vivre libre. Il a beaucoup de masques et il n’hésite pas à en changer, moins pour tromper les gens que pour s’essayer à différents points de vue. La réalité est un rêve et ses rêves sont très concrets: ils organisent la vie différemment. Comme ça l’arrange, comme il la rêve.

Photo © Dorothée Thébert

DISTRIBUTION
Texte d’après Robert Walser
Montage de textes Christiane Thébert – Mise en scène et costume Anne-Marie Delbart – Scénographie Gilles Lambert – Éclairage Danièle Milovic – Jeu Claude Thébert – Administration et production Claude Thébert – Photo © Dorothée Thébert

L’IRONIE FRAÎCHE 
Le petit pour l’infini. Elle est jolie l’idée du Théâtre du Sentier, trio romand qui, depuis 1993, travaille en format réduit (un auteur suisse, un comédien et un décor souvent mini) pour ouvrir large l’horizon du sens et des sensations. Elle est jolie cette idée et colle à l’écrivain auquel elle est associée ces jours à Genève, au Théâtre de l’Orangerie: Robert Walser, poète suisse alémanique de la première moitié de la XXe siècle qui mêle anecdotes triviales et réflexions abyssales en toute ironie. Certains changent l’eau en vin pour marquer les esprits, Robert Walser, lui, change l’eau en eau. Mais quelle eau! Bondissante, insasissable, glacée parfois!
Cette Walser attitude, Claude Thébert l’a captée. Mieux, avec sa petite taille, ses paupières tombantes et son air mi-grave, mi-amusé, le comédien ressemble pour de bon au célèbre vagabond de la pensée. Après Félix et Le brigand, il le croise pour la troisième fois, dans Quand je mange de la crème fouettée…, un montage de textes tout sauf édulcorés qu’Anne-Marie Delbart, à la mise en scène et Gilles Lambert au décors rendent plus piquants. Lorsque, en pantalon grosses toile et bretelles dégraffées, Thébert surgit d’une trappe percée dans une scène inclinée, il convoque à la fois la Suisse profonde et l’écume des mots en liberté. Tel un cabarettiste berlinois, il se moque des artifices du théâtre, puis, jetant les textes comme autant de cailloux dans une rivière, il utilise ce même théâtre pour dire la nécessité de la simplicité et de l’humilité. Mais personne n’est dupe. Car, si des sapins sagement alignés remontent le long du plateau, la toile de fond arborant forêt et sommets enneigés est peinte sur un paravent, emblème de la théâtralité. Ainsi, le double foyer entre nature et culture permet toutes les tonalités. L’émotion sur le conte de l’enfant et du flocon, le pied de nez quand Walser-Thébert évoque ses stratégies de séduction et la sainte colère lorsque le révolutionnaire fustige les dérives de la consommation… Autrement dit, sur les traces de ce poète indiscipliné, une échappée libre, vive et arbitraire.
Marie-Pierre Genecand, Le Temps, 10 juillet 2006

CLAUDE THÉBERT, SUR LE CHEMIN DE SAINT-JEAN 
Le comédien propose théâtre (Robert Walser et Corinna Bille) et lectures en plein air, dans son quartier de Genève. Il participe ainsi à un «off Bâtie ».
Cet été, sous un arbre du parc La Grange, ou à l’abri de l’Orangerie, Claude Thébert a lu des auteurs d’ici et maintenant. Avec cette voix et ce ton incomparable qui à la fois vous emmènent dans le récit et vous font savourer la magie du livre, cet objet simple qu’on ouvre comme une boîte… A l’Orangerie, il a aussi créé Quand je mange de la crème fouettée…, un spectacle à partir des textes de Walser. Voilà à peu près vingt ans qu’il a découvert dans une librairie de province son premier Walser, L’Institut Benjamenta. Il l’a lu d’une traite le soir même, l’a relu le lendemain.
C’est ce qu’on appelle une rencontre. «Quand je vais bien je lis un peu de Walser. Il m’accompagne, il trace le chemin. Comme moi, il aime les choses petites et modestes, dit-il. Quand je ne vais pas bien je lis un peu de Walser. Il y a de tout chez lui.» Et d’envier sa femme, Christiane, qui peut le lire en allemand. C’est d’ailleurs elle qui a sélectionné les textes de Quand je mange de la crème fouettée…
Dans cette Crème, Claude Thébert joue avec plaisir débordant, un plaisir qui vous assaille jusque sur votre siège de spectateur, qui fait aimer le monde sans être dupe. Avant, il y avait eu Félix, et puis Le brigand, dont il dit que ce fut un spectacle de plein air et de salles de fêtes qui est allé squatter les théâtres officiels. Ses spectacles sont faits pour aller ainsi de-ci de-là. Ainsi, Quand je mange de la crème fouettée… sera joué, en marge de l’exposition Walser à la Fondation Bodmer, à la Comédie de Genève (25 sept. à 18h). Puis à Neuchâtel (CCN, les 27 et 28 sept., tél. 032/725 05 05).
Et puis là, tout de suite, dans le quartier de Genève où ce Vosgien, passé par La Chaux-de-Fonds et son Théâtre Populaire Romand, vit aujourd’hui, sous ses fenêtres, sur la couverture des voies CFF, entre Saint-Jean et les Charmilles.
Sans portes ni tickets
Le concept de la Terrasse du Troc ne pouvait que plaire à cet homme qui aime profondément aller au plus près des êtres et des choses. A ce marcheur qui a cofondé le si justement nommé Théâtre du Sentier. La Terrasse du Troc, c’est un espace d’art interactif qui ressemble surtout à un joli troquet-jardin sous le soleil et les étoiles. Il arrive au comédien d’y servir le café. Ce lieu éphémère accueille un débat public proposé par la Bâtie sur la question du populaire. Et puisqu’il s’agit d’entamer le dialogue entre spectateurs et gens de théâtre sur cette notion, pourquoi ne pas lui donner une suite concrète? Un «off Bâtie » en somme, avec tout ce que le mot off peut signifier d’ouverture et de facilité d’accès. Non pas que la Bâtie soit un lieu fermé. Mais concevons que le festival en a parfois l’air. Loué soit-il d’avoir eu envie de parler d’ouverture avec le public. Avec leur programme de spectacles (Walser puis Corinna Bille) et de lectures, Claude Thébert et la Terrasse du Troc ont eux souhaité en offrir un exemple, selon le mode qu’ils pratiquent depuis le mois de juin, à l’échelle avant tout du quartier et selon le mode de l’entrée libre. Sans portes, ni tickets.
Elisabeth Chardon, Le Temps, Sortir, 31 août 2006

INSAISISSABLE ROBERT WALSER
Orangerie / Avec Quand je mange de la crème fouettée…, le Théâtre du Sentier met en scène l’écrivain alémanique.
C’est le schnaps qui fait les enfants, affirme malicieusement Claude Thébert en jouant le personnage de Robert Walser dans la nouvelle création du Théâtre du Sentier à l’Orangerie genevoise. Du schnaps aux belles dames, en passant par la condition de l’écrivain sans succès: Quand je mange de la crème fouettée…, mis en scène par Anne-Marie Delbart, est composé de fragments provenants de différents écrits de Robert Walser. Si Christiane Thébert – qui a fait le montage des textes – sollicite pour le théâtre les écrits de cet auteur, c’est parce que chez Walser, la page est une scène où les personnages apparaissent un court laps de temps, pour disparaître aussitôt dans le vague. Et quel meilleur endroit qu’un plateau de théâtre pour mettre en scène le personnage principal de ces textes, à savoir Robert Walser lui-même.
Claude Thébert se glisse encore une fois dans la peau de l’écrivain, toujours, aussi insaisissable et furtif. Le Robert Walser de Claude Thébert est un conteur, un colporteur de faits divers et un collectionneur de maximes et de dictons, servis au public avec l’ironie et l’humour propre à l’écrivain comme à l’acteur. Walser décrit le monde qui l’entoure avec un regard pertinent et un grand talent d’observation. En même temps, sa prose transmet son amour pour sa ville natale (Bienne), pour la vie en marge des capitales et des métropoles. Il regarde certes avec moquerie ses concitoyens au comportement parfois rustre et campagnard, mais les quolibets sont bienveillants.
Dans Quand je mange de la crème fouettée…, la pratique de l’accent suisse et le geste théâtral très explicite font référence aux pièces de théâtre qui se jouent dans les salles communales ou lors des fêtes villageoises. Une intention juste, car à l’image de l’univers de Walser. Le décor conçu par Gilles Lambert souligne la naïveté volontaire de cette mise en scène: les sapins miniature et la vue sur les Alpes lointaines rappellent le panorama tel qu’il se contemple depuis le pied du Jura.
La conception simple de la scénographie correspond au monde de fonctionnement du Théâtre du Sentier, qui choisit volontiers les cafés, places et autres parcs pour présenter ses productions. Démarche légitime, donc, de ce théâtre qui sait faire comme personne des pièces proche des gens, sans prétention mais avec beaucoup de coeur.
Béatrice Stauffer, Le Courrier, 6 juillet 2006

CLAUDE THÉBERT FOUETTE LA CRÈME DE ROBERT WALSER 
A l’Orangerie, le comédien part sur les traces littéraires d’un marcheur impénitent
Il est mort dans la neige, Robert Walser. Entièrement vêtu de sombre. Entre blanc et noir, donc, ces deux pôles où venait si souvent achopper son âme. La neige, on en trouve la trace dans le décor qu’a dressé Gilles Lambert sous le plafond décati de l’Orangerie. Deux rangées de sapins tirent une perspective qui s’élance jusqu’à un massif montagneux. Mais c’est par le sol que surgit Claude Thébert arborant un faux nez, les bretelles au bas du pantalon.
Né pour être un cadeau
Ce drôle de diable, qui «adore se laisser prendre par le menton», c’est Robert Walser de retour parmi les hommes. Là où il se sent bien. «Je suis né pour être un cadeau. J’ai toujours appartenu à quelqu’un», confie-t-il par la voix de son interprète.
A quelqu’un, mais aussi au monde, qu’il aimait parcourir d’un pas curieux pour y observer ses semblables. Il souffle dans ses textes cette «tendresse d’amour» chère à Albert Cohen. Moins melliflue que celle de son cadet, sa prose ne caresse cependant que pour mieux saisir. Et «se» saisir par la même occasion, en évoquant au passage le théâtre, la culture, les femmes et le temps qui passent…
Pour Claude Thébert, la démarche est tout autre. Plus casse-gueule, forcément. Fallait-il «jouer» Walser? Se l’approprier? Incarner une figure probable? Passer, comme il le fait, de la contemplation ironique à un nervosité inquiète?
Individu complexe et instable, l’auteur de Jakob Von Gunten n’est pas d’un abordage facile. La mine matoise et le regard brillant, comme s’il dissimulait quelque fièvre existentielle, Claude Thébert s’approprie la langue de son personnage plus que son identité. Si parfois il se montre un peu trop appliqué, son engagement reste un viatique efficace pour accéder à l’univers de l’écrivain biennois.
Astucieuse mais jamais ostentatoire, la mise en scène d’Anne-Marie Delbart s’attache elle aussi, à rendre une tonalité plus qu’une forme. «La retenue aussi exige de l’énergie», constait Robert Walser. En combinant adroitement les deux, Quand je mange de la crème fouettée… réussit son pari: faire passer une parole essentielle sans jamais l’altérer.
Lionel Chiuch, La Tribune de Genève, 5 juillet 2006

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